—   Miss McCarthery» je suis bien heureux de vous rencontrer.

—   Comment allez-vous, Mr Comway ?

—   Mieux que mes clients, miss !

Une plaisanterie que tout le pays connaissait et qui n'amusait plus que son auteur. Imogène se força à sourire et voulut prendre congé, mais le coroner éprouvait l'envie de bavarder.

—     Vos amis vous ont déjà abandonnée ?
L'Ecossaise se sentit défaillir comme à l'approche d'un coup dont on devine l'imminence sans savoir de quel côté il va vous frapper.

—     Mes amis, Mr Cornway ?

—   Ce jeune homme et cette jeune fille avec qui vous vous promeniez hier après-midi ? Ne logeaient-ils pas chez vous ?

—   Si fait.

—   Des fiancés, j'imagine ?

Miss McCarthery eut l'affreuse impression que tout son sang se figeait dans ses veines et qu'elle se changeait en un bloc de pierre tandis que Peter enchaînait :

—   Je les ai vus prendre le train d'Edimbourg ce matin, à 9 heures. Bras dessus bras dessous, ils paraissaient fort amoureux l'un de l'autre... Quelque chose qui ne va pas, miss ?

—   Non, mais depuis hier soir, je ne suis pas dans mon assiette... Vous voudrez bien m excuser, Mr Cornway...

Perplexe, le coroner regardait s'éloigner Imogène d'une démarche hésitante, se demandant, à son tour, si la fille n'avait pas hérité de son père un penchant accusé pour la bouteille.

Ainsi, ils avaient osé lui faire ça... ! Mais pourquoi ? Pourquoi s'étaient-ils moqués d'elle ? A quoi rimait ce jeu atroce ? Pourquoi glisser ce billet dans son sac ? Pour rire ? Parce qu'il n'y a rien de plus drôle que de voir une vieille fille croire à l'amour ? Nancy... Nancy qui connaissait les sentiments dTmogène, comment avait-elle pu tolérer de devenir complice de cette horrible farce ? Ou alors, avait-elle succombé sottement au charme d'Allan ? Peut-etre éprouverait-elle de la honte maintenant en pensant à son amie ? Pauvre Nancy...

Lourdement, péniblement, devenue soudain une très vieille demoiselle, miss McCarthery se leva du fauteuil où elle remâchait sa peine. Elle s'obligea à se regarder dans le miroir, s'examina sans pitié et haussa les épaules. Elle ne pouvait pas lutter contre la jeunesse de Nancy. Tout était dans l'ordre. Les jeunes avec les jeunes, les vieux... mais avec qui ? Elle s'adressa au sourire niais du capitaine de l'armée des Indes.

— Avec qui, dites, daddy, avec qui ?

Robert Bruce... Walter Scott... Leur compagnie ne lui suffirait plus désormais, elle le devinait. A son tour, allait-elle trahir ? Alors qu'elle se dirigeait vers la cuisine, une idée l'arrêta : comment savaient-ils qu'elle se réveillerait si tard ce matin alors que d'habitude elle sautait hors du lit aux premières heures de la matinée ? Du coup, elle se souvint du goût étrange du thé préparé par Allan, de cette espèce de torpeur la jetant sur son lit, de cette amertume dans la bouche au réveil, de cette migraine... Droguée ! Ils l'avaient droguée ! Mais alors... le cœur d'Imogène s'arrêta de battre. L'enveloppe ! Elle se jeta dans l'escalier, ouvrit la porte de la chambre d'Allan et poussa un cri de joie en voyant son enveloppe bien en évidence sur la cheminée... Les jambes coupées par l'émotion, elle se laissa tomber sur une chaise. Au moins, ils n'étaient pas des voleurs... Une simple fugue amoureuse... Une bonne leçon pour toi, Imogène. Une autre fois, tu y regarderas deux fois avant d'oublier ton âge ! Nancy oserait-elle réapparaître devant elle au bureau ? D'une main tremblante, elle s'empara des précieux papiers. Sir Henry devait être de retour aux Moors... Acnever cette mission et partir le plus vite possible pour regagner son petit appartement de Chelsea... Elle ne demandait rien d'autre, rien d'autre...

Ayant changé sa robe contre son rustique costume de tweed, troqué ses chaussures fines contre ses habituels souliers à talons plats, redevenue l'Imogène que tout le monde connaissait, elle prit le